tell me something

(S)HE IS
sarcastique
je m'en-foutiste
bordélique
amicale
distraite
désorganisée
critique
fêtarde
illogique
aventurière

From : gee.gold
To : luke-lover281


Bonjour (ou bonsoir, parmi mes innombrables qualités ne se trouve pas la clairvoyance) Luke-lover281.
Dis moi, c’est pas un peu ringard comme pseudo, Luke-lover281 ? Enfin, peut-être que c’est la norme sur les sites de rencontres, je n’en sais rien du tout, c’est le tout premier que je rejoins (et probablement le dernier, mais ça, c’est un autre débat). Au début, j’étais franchement pas chaude-chaude pour m’inscrire, je t’avoue. Pour moi, les sites de rencontres, ce n’est qu’un vivier de geeks qui ne parviennent pas à draguer en face à face, comme tout être humain normal. Les hommes préhistoriques n’avaient pas Meetic et pourtant ils sont parvenus à se reproduire, non ? Donc arrête-moi si je me trompe, mais on ne serait pas censés en avoir besoin non plus. C’est là que tu te demandes ce que je fiches ici. Tu as raison, c’est une question légitime, mais il y a une explication très simple à ça : ma colocataire m’y a forcée. Crois-moi, elle peut être très convaincante quand elle le veut, surtout si elle use de la violence. Soit. Après la troisième soirée post-rupture que j’ai passé à hurler contre mon ex en éventrant tous les oreillers passant à ma portée, (en l’espace de seulement un mois, précisons) elle a décidé d’intervenir. Selon elle, je ne sors qu’avec des gars complètement dérangés, que ce soit dérangés sociaux, émotionnels, psychopathes ou serial-killers en devenir. Toujours selon elle, je ne choisis que les gars qui ne me rendront jamais heureuse. Donc, partant du principe que je ne pourrais pas trouver pire que mes ex, elle m’a inscrite sur meetic. D’ailleurs, je te remercie de m’avoir mailée, parce que moi, je ne l’aurais jamais fait. Dans ce foutoir de gars super romantiques prétendant « chercher l’âme sœur », je ne pense pas être capable de séparer les pervers du reste de la populace.

Bon, donc là, c’est la partie où je me présente, c’est ça ? Très bien, alors commençons : je m’appelle Georgia mais tout le monde me surnomme Gee, ça parait logique, vu que c’est franchement pas recherché. M’enfin, je m’y suis faite, on m’a habituée à ce diminutif depuis ma plus tendre enfance (« tendre enfance » nan mais quelle expression bidon ! Et les gosses soldats, ils ont eu une tendre enfance, peut-être ?!) J’ai 20 ans et je vis à Bâton Rouge, chose que tu dois normalement savoir si tu as lu mon profil. Je préfère tout de même préciser, au cas où tu te serais contenté de regarder ma photo et de te dire « Ecrivons-lui donc, elle n’a pas l’air d’être un boudin, celle-là. » Je ne juge pas, tracasse. Je suis de Seattle, en fait. Je suis née là, j’ai grandi là. Dans la banlieue, plus précisément. C’est une ville portuaire. J’ai littéralement grandi sur les docks puisque je passais mon temps là-bas, histoire d’échapper à l’ambiance pas franchement délirante qu’il y avait chez moi. Ce que j’adore cette ville… Si je l’ai quittée, c’est parce qu’alors que j’avais 14 ans, mes parents ont divorcé et ma mère a voulu s’éloigner un maximum de son ex-mari. Bien sûr, je l’ai suivie. J’ai fini par m’attacher à ce bled. A vrai dire, c’est la seule chose de laquelle je suis jamais tombée amoureuse, c’est la Louisiane ! Si je suis une handicapée des sentiments, c’est à cause de mes parents. J’ai toujours cru que le coup de la psychologie à la Freud était du pipeau : genre on est comme-ci ou comme-ça en fonction d’un milieu et du cadre social dans lequel on a évolué (Et puis, comment faire confiance à un type qui s’appelle Sigmund ?!) mais j’ai fini par me dire que c’était peut-être pas si con. Mes parents m’ont eue très tôt, ma mère avait seulement 18 ans, et mon père 20. Ils étaient dans la même classe en terminale, mon cher paternel ayant redoublé de nombreuses fois. Moui, en effet, mes géniteurs sont des lumières. La preuve : j’ai débarqué totalement par hasard. C’est juste par pure flemmardise, je suppose, que ma mère n’a pas avorté. J’ai débarqué sur la planète quelques semaines après la remise des diplômes : ma mère l’avait décroché, mon père, lui, s’était contenté, une fois de plus, de massacrer ses examens. Le voila père de famille, il a donc juste abandonné les cours. Je suis née Georgia Tennisson, nom de mon père, typiquement américain. Seulement, comme tout couple d’ados, ils se sont séparés très tôt, alors qu’ils pensaient s’aimer pour la vie. Quels débiles… J’avais environ 2 ans quand ils ont commencés à se disputer et ma mère l’a chassé de chez elle. En fait, il venait zôner à la maison, prétendant venir rendre visite à sa fille, alors qu’en fait il n’y avait plus de chauffage dans l’appart miteux qu’il parvenait tout juste à se payer avec son salaire de serveur dans un fast-food. C’est clair que notre minuscule maison n’était pas franchement mieux et tombait carrément en ruines mais au moins, on avait de quoi payer les factures grâce au petit boulot de ma mère dans une entreprise. Le vrai problème, c’est qu’ils se remettaient ensemble puis se re-séparaient tout le temps. Il la frappait, elle hurlait, lui envoyait une assiette dans la figure, il se mettait à saigner et c’était à ce moment là que petite Gee pigeait qu’il était temps pour elle de ficher le camp. J’allais toujours me planquer au bord de l’eau, avec un bouquin venu de la bibliothèque municipale. Ca n’avait rien d’une belle plage paradisiaque, on habitait près des quais donc j’allais me réfugier sur les toits des entrepôts de stockage, d’où j’avais une super vue sur le fleuve. Je crois que mon amour pour les beaux paysages vient de là. Et ma passion pour la littérature aussi, sans doute. C’est ce qui me manque le plus, de ma ville natale, les quais.

J’ai fait ma crise d’adolescence bien sûr, comme toute personne normale possédant un cerveau, un cœur, une conscience et le téléphone d’un dealer en numérotation rapide sur son portable. Certes, ça n’a pas été la joie dans la famille. Lors d’une dispute particulièrement violente entre mon père et ma mère, cette dernière m’a emmené à la commune pour faire changer mon nom de famille. Elle ne voulait pas que « cette famille de m***e que sont les Tennisson ait une descendance » m’a-t-elle dit. Ils ont officiellement divorcés et on est parties toutes les deux vivre à Baton Rouge. J’avais 14 ans et j’ai donc pris son nom. Ca m’a bien arrangé. Tennisson, c’est tellement courant, et beaucoup moins poétique que mon nouveau nom : Goldriver. Il parait que ce n’est pas bien prudent que de donner son nom sur le net mais je n’en ai rien à faire. Tu es peut-être bien un dangereux psychopathe qui veut ma mort dans d’affreuses tortures, et alors ? Je préfère t’avertir : je suis ceinture bleue de karaté. Ca peut faire mal, fais gaffe à toi, Luke-lover/machin truc. De toute façon, si tu t’avères être réellement un psychopathe, sache que tu ne pourras pas être plus névrosé que moi.

J’ai eu mon diplôme sans trop de problème, j’ai toujours eu beaucoup de facilités à l’école bien que je passais plus de temps à dessiner des caricatures du prof que le nez plongé dans les bouquins. J’ai toujours été une passionnée d’arts et c’est ce que j’étudie en ce moment à l’université. Je ne sais pas ce que je veux faire de ma vie, je n’en ai rien à faire à vrai dire, ce qui m’importe c’est de continuer à vivre ma vie comme je l’entends. Je ne me doutais pas de ce qui me manquerait réellement de Seattle : les docks, le coucher de soleil sur l’eau miroitante, les petits marchands le long de la route, les employés des entrepôts qui me chassaient des toits quand leurs patrons débarquaient, et puis me filaient des sandwichs au filet de dinde une fois que leurs boss fichaient le camp. Je ne suis jamais retournée là-bas depuis, je n’ai jamais revu mon père, malheureusement. Ma vie a continué ici et je suis bien, même si certains évènements durs à avaler se sont produits. Comme la mort de mon meilleur ami l’année dernière, par exemple.

Tu sais quoi ? Ne réponds pas à ce mail. Abandonne, je préfère les dérangés sociaux aux tocards qui se font appeler Luke-lover281. Comment peut-on espérer trouver le grand amour sur le net ? L’amour c’est un truc physique, c’est charnel. Me faire un écran, ça me dit trop rien.

Adieu et bonne chance dans la vie,

Gee.